Vaujany

[Anonymous]

Je ne donnerai pas de détails pratiques...le net en regorge ! Le cliché en NB n'a pas été pris par Daguerre ou Nadar mais par moi, en décembre 1974, faisant étape là le soir du 24 décembre entre Paris et Vars. Si je ne m'abuse, Vaujany n'avait pas encore été pourri par les redevances EDF, et nul téléphérique ne défigurait le paysage, tandis que les pentes adjacentes ne voyaient s'élever aucune construction récente. D'où une fréquentation limitée aux quelques aficionados amateurs de silence et de tranquillité qui acceptaient de s'éloigner de la Nationale Grenoble-Briançon. Il me semble même qu'à l'époque seul un hôtel y était disponible ("Logis de France"). Nous nous attendions à un menu vaguement amélioré, un soir de Noël...Las ! ce fut comme un rappel à la modestie, à l'austérité, aux vertus cardinales de la vie monastique, à une exhortation à la pénitence en cette soirée où les croyants célébraient d'ordinaire en baffrant comme des porcs la naissance du Pauvre parmi les pauvres.
La "soupe popu", quelque bidoche noyée dans un bouillon opaque, petitement accompagnée, un bout de calendos momifié et une chose évanescente en guise de dessert ; à chaque étape de ce repas de Chartreux malade, nous nous disions, avec un clin d'oeil : "hé, hé, les petits malins nous préparent une surprise, tout ça n'est qu'une ruse amusante destinée à annoncer une conclusion à la hauteur des circonstances...!"
La conclusion : dodo. Et dire que nous avions rêvé pendant tout le voyage aux délices des repas provinciaux...
Et pas question de rigoler, hein ? Toute la séance se déroula dans un silence de mort, un silence glacé de réfectoire pénitentiaire, entre les regards comme apeurés des clients et les coups d'oeil fuyants et quasi-reptiliens des tenanciers, visiblement pressés que nous décampions.
Tout compte fait, cette photo en noir et blanc paraissant tirée d'un autre âge traduit assez bien l'ambiance de cette soirée...