En guise de préambule je reproduis un court extrait du discours prononcé par le quinzième maire de la commune, à l'occasion du premier centenaire de la fondation de celle-ci remontant au 1er mai 1884 :
«
...D'où vient Massieu ?
Trois historiens se sont penchés sur l'histoire de Massieu, mais il faut reconnaître que leurs opinions ne convergent pas exactement.
En 1661, Nicolas Chorier (Histoire Générale du Dauphiné) parle de la Valdaine et de ses châteaux, dont un à Massieu (...),
En 1671 Guy Allard (Dictionnaire du Dauphiné), confirme que Massieu est une paroisse du mandement de Clermont (...), il précise que son église est dédiée à St Pierre et que son nom latin est MACUSIUM, à cause d'Hercule MACUSAIN qui y était adoré,
Un certain Pilot, historien chercheur, affirme tout autre chose. Massieu serait le souvenir le plus ancien qui se rattache à deux localités citées dans le testament d'Albon, sous le règne de Charlemagne, ce seigneur d'Albon(...) donne par testament à l'Eglise de St Jean de Maurienne (...) ce qu'il a à MACIANO (Massieu) (...)".
Trois sources donc, aucune n'offrant de certitude.
Ce modeste essai n'a pas pour ambition de détailler l'histoire de Massieu en tant que communauté humaine vivante et agissante, mais de tenter d'éclaicir l'origine de son nom en proposant des hypothèses pour un futur approfondissement.
Les langues parlées par les peuples partagent leur sort : elles naissent, se forment, s'épanouissent, se figent, meurent parfois ou sont progressivement assimilées à d'autres. S'il faut rechercher les termes les plus anciens de ces parlers, on s'attachera à observer ceux qui ont le moins de chances de disparaître, à savoir ceux qui désignent ce qui ne bouge pas ou très peu : la terre, les bois, les rivières, les villages, etc. en d'autres termes les noms de lieux : si une langue meurt ou s'efface peu à peu ce sont là les derniers témoignages qu'elle laisse derrière elle.
D'autant qu'un peuple faisant irruption chez un autre (la terre n'ayant jamais été « vide », sinon au paléolithique ou dans les déserts, et encore...) ne se donnait pas pour tâche principale de faire disparaître à tout prix la trace orale des précédents occupants avec lesquels il allait en général se mélanger. L'extermination pure et simple de l'indigène est une manie récurrente de la barbarie « moderne » dont on a fait grand cas et usage depuis le XVIe siècle et qui persiste encore de nos jours.
Ainsi se doit-on d'être aussi proche que possible de la plus ancienne trace écrite d'un nom de lieu, sachant que de scribe en scribe, de copie en copie, de parole estropiée en mot tordu, voire même de faussaire en faussaire (la chose étant établie sinon courante lorsqu'il s'agit d'acquérir, de convoiter, de défendre une possession, un droit, une légitimité, etc.), le sens primitif finit par s'altérer, se maquiller, au point d'en devenir méconnaissable.
C'est donc à partir du travail de M. Pilot faisant remonter à la période carolingienne (VIIIe siècle) la trace d'une première mention du nom de Massieu (MACIANO), qu'on doit procéder.
En dressant un très bref calendrier historique qui remonte du plus récent au plus ancien, il faut avoir présente à l'esprit la séquence suivante : Massieu, village français a été auparavant dauphinois, carolingien, gallo-romain, gaulois, peut-être ligure, et ainsi de suite jusqu'aux Cro-Magnon... mais on n'ira pas jusqu'à la fin de la dernière glaciation qui vit fondre le glacier de l'Ainan dont la belle moraine frontale marque le seuil du Fagot !
Un premier indice nous est donné fort à propos par le nom de la rivière l'Ainan. Dans les dialectes celtiques « nant » désigne la vallée, le passage du cours d'eau, exemple : Nantua = Nant-uxello, où « uxello » = haut, donc « la vallée d'en haut », la « haute vallée ». Et les ruisseaux ou torrents portant le nom de « nant » sont encore nombreux, notamment dans les Savoies, sans compter les localités du genre Nanteuil, Nantoin, etc. Ce qui pourrait conduire à en déduire pour Ainan une forme simple signifiant tout bonnement « la vallée », et dans ce cas « Valdaine » ne serait qu'un pléonasme tardif : « la vallée de la vallée », ou à la rigueur « le cours d'eau dans la vallée », mais ce genre de méprise involontaire est fréquent en toponymie.
Donc, une probable origine celtique (gauloise).
A. Dauzat et Ch. Rostaing (cf. infra, bibliographie) dans leur Dictionnaire font bien référence à la première trace écrite du nom (ils relèvent MACCIANO) comme remontant au VIIIe siècle, mais en l'assimilant à d'autres noms de lieux comme Macé, Massy, etc. dérivant d'un supposé nom d'homme : Macius.
Sans entrer dans une polémique déjà vivement alimentée par les linguistes, on observe que nos deux auteurs en appelaient comme une marotte, contre tout ce qui résistait à leur analyse, à une pratique romaine (la gentilice) consistant à nommer un lieu d'après le nom de son propriétaire, famille ou chef de clan (je simplifie).
En quelque sorte, pour Dauzat et Rostaing, l'histoire du monde commençait avec les Romains et ne relevait que d'une pratique, point final.
Or, si on se prend à appliquer les méthodes de l'anatomie comparée à la linguistique et plus précisément à l'onomastique (étude des noms de lieux), on ne peut que se retourner vers bien d'autres pistes s'offrant à la curiosité. Une fois parcourues les voies qu'offrent les traces écrites en ancien français ou d'origine strictement latine, au demeurant restreintes (jusqu'à de plus amples découvertes...) concernant Massieu, force est de se tourner vers des sources comparatives plus anciennes.
Le regretté chanoine breton François Falc'hun (cf. infra la bibliographie) prend pour exemple Marcé (et nous avons en Isère un Marcieu 38350), Marcy, Marcet, etc. qu'il compare au descriptif gaulois Maro-ceton, où Maro = grand et ceton = bois, soit : « le grand bois ».
Mais, direz-vous, il y a un « r » de trop !!
L'adjonction ou la perte de cette consonne au fil du temps, soit dans le langage parlé, soit dans les lectures et réécritures successives, sont définies en linguistique par les termes de rotacisme et amuissement, dépendant de facteurs multiples dont l'étude dépasse largement l'objet de la présente notice.
Un exemple allant dans ce sens : l'actuelle commune de Maisey (dépt. De la Meuse) était nommée Maisei en 1329, Marzey en 1247, enfin plus anciennement encore Marciacum en 973, cas fréquent d'amuissement par disparition progressive du « r ». A contrario, Salmorenc est devenu Sermorens, exemple de rotacisme, avec apparition d'un « r ».
Pourquoi ce jeu de cache-cache avec les lettres et les mots ? Par négligence des copistes ou des locuteurs, par ignorance, par mauvaise interprétation phonétique à cause d'un accent insolite pour celui qui l'entend, etc. etc. sans oublier que l'analphabétisme et l'illétrisme étaient la règle il n'y a pas si longtemps. Combien de fois n'ai-je dû batailler afin qu'on ne fasse pas sauter le « u » final de mon nom alors que je l'avais correctement prononcé, surtout auprès de mes compatriotes, les étrangers étant par nécessité plus attentifs !
Nous ferons donc l'hypothèse, concernant Massieu, d'une disparition du « r » avec une forme ancienne gauloise du type Maro-....
La désinence « ieu », fréquente en Isère et plus encore dans les départements de l'Ain et du Jura, pourrait matérialiser la trace du vocable gaulois « ialon » = lieu défriché, cultivé (en champ ou en prairie). D'où « Maro-ialon »= « le grand défrichement », ou « le grand champ », ce qui offre une deuxième possibilité, après le « grand bois ».
Enfin une troisième hypothèse est offerte grâce à la racine « matu », toujours dans la langue gauloise, signifiant « bon », « favorable » ; avec par conséquent un composé possible « Matu-ialon » (le « bon champ ») ou encore « Matu-ceton » (le « bon bois »), ces termes pouvant faire référence à la fertilité, à la bonne exposition, etc. du champ ou du bois en question.
Nous sommes par conséquent face à trois possibilités (sinon quatre, mais il est toujours question de champ ou de bois...), sans qu'il soit possible de trancher en faveur de l'une ou de l'autre, ni de repousser l'éventualité d'autres interprétations que des recherches ou des trouvailles inattendues pourraient apporter.
Sans compter que les langues ou dialectes pratiqués par nos voisins européens ne manquent pas d'intriguer par d'apparentes facilités d'extrapolation. Ainsi le terme « Mansion », utilisé dans les patois alpins d'Italie septentrionale, qui désigne une grange, un lieu d'entreposage collectif, est à rapprocher du bas latin très tardif « Mansus » et du latin classique « Mansio » (habitation, gîte, action de demeurer), voire d'un terme utilisé dans les Highlands écossais pour dire la même chose : « Manas ». Par ailleurs, les études les plus récentes tendent à établir une forme d'indétermination de plus en plus accusée au fur et à mesure qu'on remonte dans le temps : les Romains, les Gaulois et d'autres peuples eux aussi membres de la grande famille indo-européenne se comprenaient et bien des mots du vocabulaire latin peuvent avoir été empruntés aux langues celtiques ou proto-germaniques (l'allemand classique n'ayant pas commencé à se former avant le XIe siècle) alors qu'on avait tendance à considérer que seul l'inverse était vrai.
Bibliographie très sommaire :
A. Dauzat, Ch. Rostaing, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, Librairie Guénégaud, 1978.
François Falc'hun, Les noms de lieux celtiques (deux volumes), et Perspectives nouvelles sur l'histoire de la langue bretonne, publiés en 1970, 1981 et 1982.
Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Editions Errance, 2001.
En lien, quelques vieilles photos :
https://www.numemoris.fr/frm_string/mas ... photo.html